Homélie du Feu R.P. Placide Deseille pour le Dimanche de tous les Saints 2009

Dimanche dernier, nous avons célébré la descente du SaintEsprit sur les apôtres et sur l’Église, et cette fête nous invitait à tourner les yeux vers la sainte Trinité, vers la sainte Trinité qui a accompli toute cette œuvre du salut de l’humanité, chacune des personnes divines y remplissant son rôle. Toute œuvre de la Trinité est commune aux trois personnes, mais chaque personne selon son mode propre, elle manifeste ce qu’elle est au sein de la Trinité à travers son action dans l’histoire du salut.

Et le SaintEsprit se manifeste particulièrement en cette fête de la Pentecôte comme le sanctificateur par excellence, comme celui qui communique aux hommes la vie divine, cette vie qui existe de toute éternité au sein de la Trinité et à laquelle le Père a voulu que nous participions par l’œuvre de son Fils, surtout par son mystère pascal, sa mort et sa Résurrection. Il a voulu que les fruits de cette œuvre de salut nous soient communiqués par le SaintEsprit, qui a conduit cette œuvre à son achèvement.

Et aujourd’hui, en célébrant la fête de tous les saints, nous contemplons précisément les fruits de toute cette œuvre du salut, une œuvre qui a consisté non seulement à retirer l’homme du péché, à sauver l’homme de la damnation, mais aussi à lui communiquer en plénitude la vie divine, communication en vue de laquelle le Père a voulu créer le monde, a voulu créer l’humanité. À travers les saints, c’est l’accomplissement plénier de ce dessein de Dieu que nous contemplons.

Ceux que nous appelons « les saints » sont les chrétiens en qui l’Église officielle a reconnu des baptisés qui ont aussi parfaitement que possible mis en œuvre la grâce de leur baptême, et dont le salut éternel est assuré. Ils sont pour nous des exemples et des intercesseurs efficaces auprès de Dieu. Mais il est évident qu’il existe des myriades de baptisés anonymes qui sont morts dans l’amitié de Dieu et sont sauvés, sans qu’ils aient bénéficié de cette reconnaissance officielle de la part de l’Église. En même temps que les saints canonisés, nous les associons à notre fête d’aujourd’hui.

Les saints sont donc des hommes, des femmes et même des enfants en qui, durant leur vie terrestre, les dons de Dieu ont pu porter tous leurs fruits grâce à leur coopération. Car Dieu a voulu que nous ne soyons pas sanctifiés sans nous ; cela n’aurait pas été pas une sanctification véritablement nôtre, si elle avait été seulement l’œuvre de Dieu. Mais elle est l’œuvre conjointe de Dieu et de l’homme. Dieu nous donne tout, mais à condition que l’homme y participe, que l’homme ouvre son cœur et que l’homme mette en œuvre ce don de Dieu par l’action de sa liberté. Et les saints sont ceux d’entre les hommes qui ont apporté une pleine coopération, une pleine synergie, au don de Dieu.

Certes, tous les baptisés qui ne sont pas de grands pécheurs possèdent ce don de Dieu, et l’Antiquité chrétienne n’hésitait pas à appeler tous les vrais chrétiens « les saints », C’est encore le langage de la liturgie, par exemple lorsque le célébrant proclame, au sujet des Saints Dons : « Les choses saintes aux saints ! »

Malheureusement, nous tous, qui sommes des saints en ce sens, nous ne faisons pas fructifier autant que nous le devrions les dons que nous avons reçus de Dieu, alors que nous le pourrions. Les saints canonisés ne sont pas des êtres d’exception, ce ne sont pas des êtres spécialement prédestinés à être des saints ; ce sont des hommes comme nous, et qui possédaient comme nous une liberté et une volonté libre, mais qui l’ont utilisée pleinement, je dirais même exclusivement, pour faire fructifier ce don de la vie divine qui leur était fait.

Grâce à ce que nous connaissons de la vie de ces saints, ce que nous entrevoyons, c’est justement la présence parmi nous, parmi les hommes, de la vie divine. Les vertus éminentes des saints ne sont pas des vertus simplement humaines, ce ne sont pas des qualités simplement morales, c’est quelque chose de proprement divin. La sainteté est une réalité incréée, mais à laquelle l’homme apporte sa pleine coopération.

Selon une image souvent reprise par les Pères de l’Église, parce qu’elle est profondément évocatrice, celle du fer rouge pénétré par le feu, les saints se sont laissés entièrement pénétrer par ce feu divin, ce feu incréé que le Christ est venu apporter sur la terre et qui est l’agir de la divinité ellemême. Toutes les vertus des saints sont un reflet de ce que Dieu est, une participation à cette réalité incréée communiquée à l’homme. C’est en ce sens que les saints sont vraiment parmi nous des fenêtres ouvertes vers le ciel. Leur sainteté, leur amour de Dieu, un amour de Dieu qui, dans bien des cas est allé jusqu’au martyre, par amour universel de leurs frères, accompagné de l’humilité, d’un humble amour où le moi, où l’ego s’efface complètement, oui, tout cela nous manifeste ce qu’est le don de Dieu quand on l’accueille pleinement.

Les saints sont nos modèles, et à travers leurs vies, ce que nous contemplons, c’est cette coopération qu’ils ont apportée au don de Dieu, mais en même temps, c’est ce don de Dieu luimême qui nous est manifesté, c’est cette présence dans notre monde d’une réalité incréée, d’une participation par l’homme à la vie incréée de Dieu. Il y a là quelque chose de vraiment admirable. Oui, les saints sont vraiment un reflet du ciel parmi nous, du ciel, c’estàdire de la vie divine, de la vie de la Trinité sainte. Leurs vertus ne sont pas simplement, encore une fois, des vertus humaines, et leurs miracles manifestent cette présence en eux d’une force qui n’est pas de ce monde.

On constate quelquefois chez nos contemporains une sorte de réticence à l’égard des miracles, mais en réalité les miracles des saints manifestent, comme les miracles du Christ dans l’évangile, que cette participation à la vie divine est quelque chose vraiment d’un autre ordre que les réalités créées, c’est le fruit de l’intervention de Dieu qui communique aux hommes une participation à son être, qui leur communique quelque chose qui est étranger à l’homme et doit éveiller en nous les louanges émerveillées de notre Dieu.

Les saints du ciel sont aussi nos protecteurs ; ils nous aident dans toute notre vie spirituelle, ils nous aident par leur intercession, ils nous aident en nous communiquant quelque chose de cette vie divine qui est en eux ; et c’est pourquoi ils sont devenus, comme le Christ, avec le Christ, dans le Christ, des charbons ardents, et à leur contact, quand nous les prions, quand nous vénérons leurs reliques, quelque chose de cette vie divine, de ce rayonnement incréé nous atteint, nous pénètre nous aussi.

Mais dans la mesure, justement, où des chrétiens infidèles à la tradition de l’Église cessent de vénérer les saints, cessent de les aimer, où l’on cesse de respecter leurs reliques, à ce momentlà les saints ne peuvent plus nous aider ; nous nous fermons à leur influence, nous dressons un mur entre eux et nous.

Quelquefois, on se demande comment il se fait que la France, qui, au Moyen Age, et encore sous l’Ancien Régime était tellement chrétienne, tellement pénétrée de vie chrétienne, comme en témoignent les noms des innombrables villages qui portent des noms de saints, comment la France
peutelle être maintenant dans l’Europe, si ce n’est dans le monde, le pays le plus déchristianisé ? Il faut penser qu’il y a malheureusement eu, dès le XVIe siècle, des hommes qui n’ont pas compris que la sainteté communiquée aux hommes glorifie Dieu, et qui, sous prétexte d’honorer Dieu seul, ont combattu la vénération des saints, de leurs reliques, de leurs images.

Car, il faut bien le dire, la réforme protestante, au XVIe siècle, a été essentiellement un iconoclasme ; au niveau populaire, on s’est surtout opposé au culte des saints, on a brisé, on a détruit, on a brûlé leurs reliques. Avant cette époque, on avait en France les corps entiers d’une multitude de saints, de tous ces saints qui, depuis presque l’époque apostolique et surtout à partir de l’époque mérovingienne, ont été tellement nombreux en France. Et tous ces corps de saints ont été profanés, ont été détruits à cette époque, et ce qui en restait l’a été ensuite à l’époque de la Révolution française.

Il n’est pas douteux que par là, le pays s’est trouvé privé de ces intercessions des saints, s’est trouvé comme abandonné à luimême. Il y a là quelque chose d’extrêmement grave que nous pouvons, au plan individuel, réparer en quelque sorte nousmême en priant les saints, en nous émerveillant devant les dons de Dieu dans les saints, en vénérant leurs reliques ; mais il y a, sans aucun doute, un mal irréparable qui a été commis par toute cette opposition au culte des saints, par toutes ces statues brisées, toutes ces reliques profanées et détruites.

Il y a quelque chose de profondément triste dans cet aspect de l’histoire de notre pays. Oui, aimons les saints, aimons lire leurs vies, le récit de leurs miracles, non pas seulement, encore une fois, pour y chercher des leçons de morale, mais pour nous émerveiller devant les dons de Dieu accordés aux hommes, en découvrant à travers eux le visage de notre Père, en découvrant à travers eux comme le visage de chacune des personnes de la Trinité, qui sont à l’œuvre dans cette sanctification des hommes. Oui, que les saints nous aident ainsi à chanter le Père, le Fils et le SaintEsprit, à qui
soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen.